- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 26 novembre 2017

Trop de caviar, c'est pas bon pour le foie






“To want to meet an author because you like his books is as ridiculous as wanting to meet the goose because you like paté de foie gras.”

Arthur Koestler

(“Vouloir rencontrer un écrivain parce que vous aimez son oeuvre est tout aussi ridicule que de vouloir rencontrer une oie parce que vous aimez le pâté de foie gras.”)


Arthur Koestler, CBE,
1905 - 1983




















Bonjour à toutes et tous !

Nous en avons - hélas - fini avec la délicieuse *werǵ-, “faire”.
d'une fille un peu stupide, on ne dit plus qu'elle est gentille, on dit qu'elle est organisée.

À présent, passons à tout autre chose...




Je vous propose, comme nouveau sujet, “les mots pour foie dans les langues indo-européennes”.



Bon, bon, d'accord, je peux comprendre que ça ne vous emballe pas plus que ça.



Mais en fait - je dois vous expliquer -, je suis parti d'un constat: en latin, en grec, en français, dans les langues germaniques... il semblerait que chaque langue, ou alors chaque groupe de langues ait sa propre version du mot “foie”.

Que chacun de ces “mots pour foie n'ait strictement aucun rapport avec les autres.

Moi, qui n'arrête pas de vous dire qu'au contraire, il y a moyen de retrouver, grâce à la linguistique historique et comparative - et forcément, grâce à l'indo-européen, des liens que vous ne soupçonneriez même pas entre des mots qui a première vue n'ont rien à voir les uns avec les autres,  moi - disais-je - ça m'interpelle (comme on dit maintenant).

Ce genre de constat, ça m'oblige à réfléchir, à me poser des questions ...



Et je vous livrerai donc, en ce dimanche, une partie du résultat de mes recherches.
(la suite, ce sera pour après)


Tout d'abord, définissons le mot français foie.

Ou plutôt - soyons fous -, demandons au Grand Robert de la langue française qu'il le fasse pour nous:
Foie: 
Organe glanduleux, situé au-dessous du diaphragme, dans la partie supérieure droite de l'abdomen, qui joue un rôle physiologique essentiel : sécrétion de la bile (fonction biliaire), métabolisme des glucides (➙ Glycogène, glycogénèse), des protides et des lipides, épuration et détoxication, synthèse de substances qui régissent la coagulation, emmagasinage de vitamines (A, B, K).



Bof.
Rien de très glamour.

Mais vous allez voir, ce sujet va nous emmener des Indes à la Baltique, par des chemins parfois inattendus...


Commençons donc notre tour des “mots pour foie, par, tout simplement, la racine indo-européenne qui désignait le foie.

Car OUI, il y avait bien une racine dont le sens était précisément “foie”.


Beurk, berk, yeeerk....

C'est pas très ragoûtant, hein, un foie.





Eh ben, 'faut croire que nos glorieux ancêtres d'il y a quelques millénaires en pensaient déjà la même chose.

Car la racine indo-européenne - reconstruite -, qui désignait le foie, c'était...

*Hyekʷ- 

(ou *iékʷ-, voire carrément i̯ē̆ku̯-, selon le principe de reconstruction choisi).

C'est tout dire.
(j'ai aussi pensé à tous ceux qui détestent ces GIF animés;
je me suis dit que ça allait être difficile pour eux, aujourd'hui)


On retrouve notre indo-européenne *Hyekʷ- dans les langues germaniques...

(Oui oh, pas envie de commencer par le latin, le grec, ou le français, aujourd'hui. C'est comme ça.)

Où elle est devenue le féminin proto-germanique... *librō-, “foie”.

(Je vous le dis tout de suite, la descendance germanique de *Hyekʷ- est encore largement débattue, et plusieurs théories pouvant expliquer les formes germaniques sont en lice. Celle que je reprends ici me semble l'une des plus vraisemblables, et fait bien de *Hyekʷ- l'ancêtre de ces formes.) 

Oui, ce l initial de *librō- est surprenant. Et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles cette étymologie est disputée.
Pout tout vous dire, les tenants de cette version de l'étymologie des “mots pour foie” dans les langues germaniques avancent l'existence d'une forme indo-européenne intermédiaire, *lipr-éh2-, pour l'expliquer:  *Hyekʷ- ⇒ *lipr-éh2⇒ *librō-
Selon eux, donc, le *H serait devenu un *l, et le kʷ un *p, qui alors se serait mué, en germanique, en *b.
(Le *r indo-européen n'étant, lui - et ça, tout le monde l'admet - qu'un simple suffixe *-
 accolé à la racine de base.)
PS: le *p de cette forme intermédiaire (devenu un germanique *b), là où on avait à l'origine un *kʷ, est moins choquant, le *indo-européen pouvant se transformer en *p de façon sporadique, en présence de consonnes sonantes (p, b, m, t, d, k, g...).

Mais donc, pour faire simple, selon cette théorie, notre *Hyekʷ- s'est dérivée dans le germanique *librō-.

Et à partir de là
*librō- n'a pas chômé -,
elle se retrouvera dans l'ensemble du groupe germanique.


Quelques-un de ses dérivés, peut-être, mmmh?
(signifiant bien tous “foie”)
  • Le vieil anglais lifer, d'où l'anglais liver,
  • le vieux frison livere, d'où le frison saterlandais Lieuwer, et le frison occidental (le frysk) lever,
  • le vieux saxon (non attesté) *livara,
  • le vieux néerlandais *livara, *levara, puis le moyen néerlandais lever, d'où le néerlandais lever,
  • le vieux haut-allemand lebara, le moyen haut-allemand leber, débouchant sur l'allemand Leber,
ou encore...
  • le (MAIS OUI !!!) vieux norois lifr
Vieux Norois


















qui nous a donné, à son tour et par exemple...
  • l'islandais lifur, 
  • le féroïéen livur,
  • le norvégien lever,
  • le vieux suédois liver, d'où le suédois lever,
  • le vieux danois liuær, d'où le danois lever, 
ou encore ...
  • le gutnisk (parlé sur l'île de Gotland, au sud de la Suède) livar, livår, livur.
Groland, et ...

... Gotland. Ne confondons pas.



On résume ?


*Hyekʷ-, “foie”
peut-être !
forme ultérieure, pré-germanique *lipr-éh2-
étymon germanique *librō-, “foie”
 mots germaniques pour foie: anglais liver, néerlandais lever, allemand Leber...


- Insuffisance hépatique... Toute la famille.
- 42ème cas dans cette seule ville. Quelqu'un doit expliquer à ces gens
comment reconnaître une jaunisse.


Sachez encore que si la filiation de *Hyekʷ-, “foie” avec le germanique *librō- ne vous semble pas entièrement convaincante, j'ai une théorie de réserve, que j'aime bien aussi, qui fait de *librō- le dérivé d'une autre racine indo-européenne: *leip- (ou *leyp-), évoquant les notions de coller, adhérer, graisse...

- Mais, et le rapport avec le foie, grand dieu ??
- Bonjour, vous allez bien ?

On pensait jadis que c'était le foie qui produisait le sang. D'où ce rapport entre le foie et du sang qui s'agglutine, qui en vient à former un caillot ... 



*leip-, “coller, adhérer, graisse...”
peut-être !
étymon germanique *librō-, “foie”
 mots germaniques pour foie: anglais liver, néerlandais lever, allemand Leber...




Allez, on poursuit !

Avec de l'arménien.

Ou, pour être précis, du vieil arménien. լեարդ (leard).

vieil Arménien

Oui, y figure aussi ce l initial. Qui, il faut bien le dire, fait ch*er tout le monde pose les mêmes problèmes étymologiques qu'en germanique.

Car en plus, rien ne permet d'affirmer que ce l initial arménien a le moindre rapport avec le l du germanique *librō-.



Mais euh... continuons.

Dérivé du vieil arménien լեարդ (leard), nous découvrons l'arménien լյարդ (lyard), le foie.

Notez qu'il existe cependant un autre descendant arménien de լեարդ (leard) :
լերդ (lerd). 

Ce լերդ (lerd) n'est qu'une forme dialectale du premier լյարդ (lyard), mais qui peut également vouloir dire “caillot de sang”, ce qui pourrait, pourquoi pas, le rapprocher de l'indo-européenne *leip- ...


Donc, première hypothèse:

*Hyekʷ-“foie”
peut-être !
vieil arménien լեարդ (leard), “foie”
arméniens լյարդ (lyard), “foie” et լերդ (lerd), “foie” ou aussi “caillot de sang”



Et la deuxième:

*leip-“coller, adhérer, graisse...”
peut-être !
vieil arménien լեարդ (leard), “foie”
arméniens լյարդ (lyard), “foie” et լերդ (lerd), “foie” ou aussi “caillot de sang”




Bon, on continue.

Avec...
Quand j'étais gamin, dans la cour de récré, pour tirer au sort un de ses copains, on les mettait en cercle autour de soi, et on les désignait tour à tour par un doigt accusateur, sur le rythme d'une ritournelle particulièrement stupide et remarquablement vulgaire: 
“Plotte tili tilotte, t'esse t'une vie crotte, 1, 2, 3 !” 
(t'esse t'une vie crotte pouvant se traduire littéralement, vous avez bien compris, par tu es un vieil étron)
la cour de récré

On continue, donc.

Avec...
(mettez ici la première ritournelle de tirage au sort à la récré qui vous vient à l'esprit)...
...

...


Les langues ....

...

... balto-slaves !


(source)


Car nous y retrouverons, par le proto-balte (non attesté) *jeknos- (sans surprise: “foie”), ...
  • le lituanien jẽknos (pluriel),
  • le vieux prussien iagno, et enfin
  • le letton (mais l'est-on VRAIMENT ?) aknas (pluriel).
(et tous avec toujours le sens de “foie”)



*Hyekʷ-“foie”
racine proto-balte *jeknos-“foie”
mots baltes pour “foie”



- Mais ?? Il n'y a que du balte, ici, et le slave ??
- Mais quelle sagacité ! En effet, il n'y a ici que des dérivés baltes.


Mais... un peu de patience...

Car, voyez-vous, par une racine balto-slave *jьkrà-, *jьkro-, notre *Hyekʷ-“foie” a également donné naissance à une tout autre série de mots tant baltes que slaves - mais euh,  comment dire? - au sens dérivé.

Ces mots ne signifient plus à proprement parler “foie”, mais ne font plus qu'évoquer le foie, par sa forme, sa consistance...

Si vous connaissez l'une ou l'autre langue balte ou slave, vous devriez pouvoir les deviner...
Et si vous n'en connaissez aucune (de langue balte ou slave), vous pouvez quand même vous en sortir en trouvant au moins le mot français correspondant à ce que j'aimerais vous faire découvrir...

Je vous donne un indice?




Oui, non ?


Ce poisson est un esturgeon.


Non ? Allez, un autre:


oeufs.


OUI, c'est ça: des oeufs d'esturgeon: du...





... caviar.


De notre *Hyekʷ-, “foie” dériveront, dans les langues baltes et slaves, des mots pour caviar” !

Et aussi pour ... mollet !




Oui, car ici, tout est question d'analogie

Le point commun entre un foie, le frai d'un poisson, la laitance et un mollet ?

Une certaine consistance, une masse compacte, arrondie.



laitance de hareng fumé cuite
(source)


Oh, ne soyez pas trop surpris: c'est ce qui s'est passé avec muscle, et la petite souris !

- Maisje ?
- Mais oui: c'est du latin musculus (petite souris) que nous arrive le mot muscle”. Par analogie.
On en parlait ici, tiens, fin 2011: Bacon, souris et coeur, Bart et les gaufres 

Ainsi donc, nous retrouverons, par exemple ...
  • le lituanien ikras, frai, laitance, caviarmollet”,
  • le letton (mais l'est-on VRAIMENT ?) ikri, de mêmes sens,
  • le vieux prussien yccroy, mollet”,
  • les tchèques jikra, laitance”, et ikro, mollet”,
  • le russe икра́ (ikrá), laitance, caviar”, mais aussi, souvent au pluriel, mollet(s)”, ou encore
  • le slovène íkra, notamment laitance, frai”.



*Hyekʷ-“foie”
racine balto-slave *jьkrà-, *jьkro-, frai, laitance, mollet”
mots baltes et slaves pour “laitance, frai, caviar, mollet...”



- Ben, et caviar, j'veux dire le français caviar, alors, i' vient d'quoi ?
- Mais... vous devriez déjà le savoir: on en a déjà parlé, précisément le 13 avril 2014...
en chocolat, de Colomb, de Fabergé, ou de béluga...



Pas mal, non ? 
On part d'une racine indo-européenne qui signifie foie, et on en arrive au russe икра́, caviar !


Merci qui ?
Mais... le proto-indo-européen, pardi !





Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très bonne semaine !




Frédéric




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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,

un morceau sorti en 1967, et chanté par le groupe californien The Monkees.


Et pourquoi je vous le livre aujourd'hui ?

Pour son titre, bien sûr: Daydream Be liver

 - Ah non, c'est Believer. Daydream Believer.
- Ah ben, tant pis.


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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen 
dès sa parution? Hein, Hein? Vous pouvez par exemple...
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dimanche 19 novembre 2017

Et du côté de Tbilissi, on élève des moutons, non ?










Je chante les moissons : je dirai sous quel signe
Il faut ouvrir la terre et marier la vigne ;
Les soins industrieux que l’on doit aux troupeaux ;
Et l’abeille économe, et ses sages travaux.
Astres qui, poursuivant votre course ordonnée,
Conduisez dans les cieux la marche de l’année ;
Protecteur des raisins, déesse des moissons,
Si l’homme encor sauvage, instruit par vos leçons,
Quitta le gland des bois pour les gerbes fécondes,
Et d’un nectar vermeil rougit les froides ondes ;
Divinités des prés, des champs et des forêts,
Faunes aux pieds légers, vous, nymphes des guérets,
Faunes, nymphes, venez ; c’est pour vous que je chante.

Premiers vers des Géorgiques, de Virgile, 
joliment traduits ici par Jacques Delille



le poète et traducteur Jacques Delille,
dit l’abbé Delille,
1738 – 1813

























Bonjour à toutes et tous!

En ce beau (?) dimanche, nous terminerons notre tour des dérivés de la racine proto-indo-européenne *werǵ-, “faire”.

Nous en étions restés à ses superbes dérivés indo-iraniens...

Aujourd'hui, comme promis dimanche dernier, au menu...



du tokharien !




Lecteurs fidèles, vous savez déjà que le tokharien se parlait dans le bassin du Tarim, et qu'il constitue, dans ses deux variantes A et B, la langue la plus orientale des langues indo-européennes.

Vous savez aussi que ce nom, finalement, ne correspond probablement pas au véritable nom de ces tribus qui occupaient le bassin du Tarim, ni à celui de leurs langues... 

Oui, c'est le philologue et orientaliste allemand Friedrich W. K. Müller (1863  – 1930) qui les baptisa ainsi.


Friedrich W. K. Müller


Car plutôt que de parler de langues tokhariennes A et B, il conviendrait plutôt de mentionner les langues Arśi et Kuči, ou encore l'agnéen (tokharien A) et le koutchéen (tokharien B).


Tokharien A - Arśi - agnéen
Tokharien B - Kuči - koutchéen


Mais bon, on ne va pas en faire un fromage, non plus.


Et si vous voulez en savoir un peu plus, sur ces braves Tokhariens, relisez donc Swing tanzen verboten.
Corpus de textes tokhariens (A),
Collection: THT, Berlin Collection
(source)


“Bon, c'eśt paś tout ča”, comme on disait dans le bassin du Tarim il y a un peu plus d'un millénaire.


L'Asie centrale, et le bassin du Tarim, entre -200 et 200
(source)


De notre infatigable indo-européenne *werǵ-, “faire”, nous retrouvons ...

  • une forme wärkṣäl en tokharien A (en agnéen, donc), et 
  • une forme warkṣäl en tokharien B (donc, en en ? OUI koutchéen).


De là, la reconstruction d'une racine proto-tokharienne, ancêtre commun à ces deux formes: *wärk-, maillon (non-attesté) par lequel notre *werǵ- est passée dans les langues tokhariennes.


Et que pouvaient bien signifier ces wärkṣäl et warkṣäl ?

“Puissance, force, énergie...”


Dans les deux cas
- c'est Douglas Q. Adams qui nous l'apprend dans son A Dictionary of Tocharian B (et non pas B Dictionary of Tocharian A) -,


il s'agit d'un nom verbal, construit sur un verbe (non-attesté) *wärks-, au sens de faire, travailler.
Nous n'en serons guère surpris.



Quelques exemples d'emploi du tokharien B warkṣäl ? (exemples toujours repris de Douglas Q. Adams)
C'est toujours bon à sortir, dans les coktails dinatoires et autres soirées mondaines, juste après avoir lâché, nonchalament, que le verbe tokharien *wärks n'était finalement que le dérivé de la racine proto-tokharienne *wärk-.
Je m'adresse ici plus particulièrement au public masculin de ce blog: essayez, vous verrez: apprenez par coeur l'un ou l'autre de ces exemples, et après les avoir tranquillement amenés dans la conversation, concluez par un solide dérivé moyen gallois
- comme crynu, “secouer, trembler”, issu de *krei-, “passer au crible, distinguer, différencier…” (allez, on relit Fiévreur et tremblements-
véritable Botte de Nevers du linguiste célibataire et qui ne le sera plus pour très longtemps. 
Ça les rend DINGUES.
















Ces exemples à mémoriser, les voici: 
  • mā kulā-c warkṣäl: “ton énergie ne diminua pas”.
  • po warkṣältsa wäntalyi ite pännāte karṣṣa: “il tendit complètement l'arc de toute sa puissance, et tira”.
  • yewe retke wärkṣalyci: “l'armement et l'armée étaient puissants”.


Et donc, en guise de résumé:



*werǵ-
, “faire”

racine tokharienne 
*wärk-

verbe non-attesté *wärks, “faire, travailler”

tokharien A wärkṣäl et tokharien B warkṣäl, “puissance, force, énergie...”





C'est fantastique, non ?

On est parti de “organiser” ! 
d'une fille un peu stupide, on ne dit plus qu'elle est gentille, on dit qu'elle est organisée., dimanche 1er octobre 2017

Réalisez donc où on se retrouve: aux portes de la Chine ! Dans sa partie la plus occidentale.




Et en quelle compagnie ! Celle de ces Tokhariens, glorieux guerriers qui arrivaient à pied par la Chine.



Mais voilà...
Notre tour du monde indo-européen en compagnie de la charmante *werǵ-, “faire” est hélas en train de s'achever...


En guise de viatique, je vous proposerai encore deux de ses dérivés, que j'avais tout simplement zappés, oubliés, négligés

Honte sur moi. 

Mais que des lecteurs avisés m'ont remis en mémoire... Merci à eux !


Il s'agit de deux dérivés bien français, que notre chère *werǵ- nous a légués par le grec ancien ...


Le premier? 


Un indice?


Les moutons !



Eh oui: Panurge !

Oui, le nom du grand ami de Pantagruel, dont Rabelais nous conte la truculente histoire.

Panurge nous vient du composé grec ancien παν-οῦργος, pan-oûrgos.

Où ...

  • πᾶν, pân, neutre de πᾶς, pâs, signifie littéralement tout, 
  • et οῦργος, oûrgos dérive, sans surprise, de notre grec ἔργον, érgon, “oeuvre, action, travail, tâche...” 
Mais ouiiii, oooh, on en avait parlé ici: Viiite, sors des WC, ça uuuuurge !!!!


παν-οῦργος, pan-oûrgos serait donc celui qui est ...“apte à tout faire”,”capable de tout”...


Panurge, vu par Gustave Doré


Enfin, un tout tout dernier et bien joli dérivé de notre *werǵ- , toujours par le grec ancien ἔργον, érgon...

L'adjectif grec ancien ... γεωργός, geōrgós.

Composé ...
  • de γῆ, gê, “terre”,  
  • de - évidemment - ἔργον, érgon, “travail...”, et 
  • du suffixe -ός, -ós.

Littéralement? “Qui travaille la terre”.

D'où, substantivé, “cultivateur, fermier...”


Il se pourrait même que Géorgie, l'appellation française sous laquelle est connu ce pays sur la côte de la mer Noire, et dont la capitale est Tbilissi
- oui, je veux parler de la Géorgie, bravo ! -, 
provienne bien du grec γεωργία, geōrgía, “agriculture”.


(source)


Ce qui est nettement plus sûr, c'est que notre prénom Georges en dérive...
Par le latin Georgius, lui-même issu de Γεώργιος, Geōrgós.

Saint Georges et le dragon,
Paolo Uccello, circa 1470


En dérive bien sûr aussi notre adjectif d'emploi littéraire “géorgique, qualifiant un poème, ou un genre (littéraire, on suit), et signifiant - l'auriez-vous cru? - “qui concerne les travaux des champs”.
(merci Le Grand Robert de la langue française)


*werǵ-
, “faire”

forme au timbre o *worǵ-
nom indo-européen *wérǵom-, “travail”

 proto-hellénique *wérgon-

grec ancien ἔργον, érgon, “oeuvre, action, travail, tâche...”

composés anciens grecs dont découleront nos Panurge, Géorgie...





Au revoir, gentille *werǵ- ! 




A-do-ra-ble petite racine qui nous a permis de relier notre ridiculement commun français organiser ... 

  • à nos organe, organigramme, orgue,
  • à nos mots en -ergie, ergo- ou -urgie: allergie, chirurgie, énergie, ergonomie, ergothérapie, léthargie, liturgie, métallurgie, synergie,
  • à argon,
  • à nos mots en urge: démiurge, dramaturge, thaumaturge, Panurge,
  • à exergue, orgie, Georges et géorgique - et peut-être aussi Géorgie,
  • à boulevard, 
  • aux anglais bulwark et work,
  • au breton gra, “acte, action, affaire, transaction...”,
  • au gallois gwneuthurwr, créateurfabriquant”,
  • à vergobret,
  • au russe ве́рша, “piège à poisson” (on n'en est pas sûr à 100%),
  • au sanskrit स्ववृष्टि (svavṛṣṭi), “faisant son propre travail”, épithète de Indra,
et enfin ...
  • aux tokharien A wärkṣäl et tokharien B warkṣäl, “puissance, force, énergie...”




Merci, *werǵ- !





Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très bonne semaine !




Frédéric






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Et pour nous quitter,

puisque c'est par un chant de Virgile que commence ce dimanche, 
terminons-le donc en chanson....

Par une chansonnette, même.

Une chanson en hommage à la jolie *werǵ-, qui a répondu à notre appel, et qui s'en retourne à présent là où elle est née, dans la steppe pontique, il y a des millénaires...

Une chanson écrite par Alain Boublil et Michel Hursel - entendez Michel Berger ! -, dont la musique est composée par Raymond Jeannot, et qui deviendra en 1968
- j'avais 6 ans, mes parents venaient de perdre leur fils aîné, et moi mon grand-frère -
un hit planétaire, interprétée par Yves Roze, mieux connu sous son pseudonyme ...
Jean-François Michaël.

Adieu jolie Candy !




(avec en prime des sous-titres en hébreu ;
décidément, non, la maison ne recule devant aucun sacrifice)


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