- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 14 septembre 2014

du facteur au préfet, tous des fétichistes, tous des fashion victims moi que j'dis







La meilleure façon de se venger d'un ennemi, c'est de ne pas lui ressembler.




Mais aussi...

Réfléchis souvent à l'enchaînement de toutes choses dans le monde et à leurs rapports réciproques, elles sont pourrait-on dire entrelacées les unes aux autres et, partant, ont les unes pour les autres une mutuelle amitié, et cela en vertu de la connexion qui l'entraîne et de l'unité de la matière.

Marc-Aurèle in Pensées pour moi-même (VI, 38).

«L'Image et le Pouvoir - Buste cuirassé de
Marc Aurèle agé - 3»
























Bonjour à tous !


DEUX citations en exergue, de Marc-Aurèle ! 
La première autour d'un mot dérivé de la racine que nous allons aborder ; la deuxième me semblant particulièrement appropriée à l'étymologie comparative, plus particulièrement en ce dimanche...


Nous sommes encore, en ce dimanche 14 septembre 2014, à rechercher les racines européennes à l’origine des mots du vocabulaire de la Magie et des magiciens.


Oh, nous arrivons tranquillement à la fin de ce grand sujet ; encore quelques dimanches, et nous passerons à autre chose…



Mais aujourd’hui, je vous propose de parler du … fétiche !

Un fétiche, comme vous le savez, est à l’origine un objet cultuel animiste auquel sont attribuées des propriétés surnaturelles bénéfiques pour son possesseur.

En ce sens, il est doué de pouvoirs magiques


Vous connaissez tous le fétiche arumbaya, dans L’Oreille cassée, le sixième album des aventures de Tintin

Pour éviter tout souci de copyright avec une certaine Fondation au nom évoquant un certain château, je vous propose ci-dessous la représentation d’une statue précolombienne très semblable à celle apparaissant dans l'album en question.

« Cultures précolombiennes
MRAH Chimu Hergé
02 10 2011 B » par Vassil



Le mot fétiche est en réalité un emprunt - par l'intermédiaire d'un texte néerlandais - au portugais feitiço (“fèyetchissou”), attesté depuis le XVème siècle.

Les Portugais, grand navigateurs, voyageurs et colonisateurs, nommèrent ainsi les ridicules objets de culte des populations d’Afrique qu’ils colonisaient gaiement.

Oui : “ridicules” : c’est ainsi qu’ils devaient voir ces amulettes, car pour eux elles n’étaient qu’artificielles, factices.
Forcément, puisque nous le savons tous, il n’y a qu’un seul vrai Dieu, une seule vraie foi.

Quoi qu’il en soit, le portugais feitiço dérivait clairement du latin factīcius : artificiel, factice.

Oui, j’en conviens, ça devait être difficile ne de pas pouffer devant ces absurdes objets dits de culte, quand on savait que la seule vraie foi, c’est nous-mêmes qui l’amenions chez ces sauvages !


Factīcius, le latin factīcius (“artificiel”), est tout simplement un dérivé du verbe faciō, facere : faire.


Et c’est là que l’on se sent inéluctablement aspiré, et que, pantois, on remonte d'au moins 5000 ans dans le temps, pour se retrouver nez à nez avec la racine proto-indo-européenne se cachant derrière ce faciō latin :


*dhē- (ou, pour les grands malades,*dʰeh-


Oh, ben *dhē-, ça ne devait probablement pas signifier “faire”, mais plutôt mettre, placer, mettre en place, poser…
Cette notion de “faire”, elle est en quelque sorte induite par l’action de mettre en place, d’agir pour préparer les choses.


Vous allez être surpris !

Ou même, comme moi, émerveillés des liens que l’on peut encore tisser entre langues, à partir d’une simple et brave racine proto-indo-européenne…

Pour le moment, sachez que c’est une forme de *dhē- au timbre zéro (sans voyelle pivot) et suffixée : *dhə-k-, qui un jour deviendrait ce faciō

Evidemment, avec faciō, facere comme descendant, vous pouvez imaginer les innombrables dérivés que nous pouvons retrouver de cette *dhē- si mimi.

En fait non.

Je pense que vous n’imaginez vraiment pas tous les dérivés qu’elle nous a donnés…

Bien sûr, il y a tous nos dérivés quasi directs de faciō ou de factor (auteur, fabricant), créé sur le supin de faciō : factum :

  • fait, factuel, facteur, faisable, 
  • factice, artifice - et artificiel, évidemment -,
  • affaire
  • bénéfique - ou maléfique
  • confectionner, confetti (qui ne sont littéralement que des confectionnés), 
  • contrefaçon, défectueux
  • façon et malfaçon, l’anglais fashion - la mode, basé sur notre façon
  • faire et défaire
  • efficace, efficient, 
  • facsimile ? manufacture !
  • modifier ? notifier !
  • faction ? putréfaction !
  • préfet ? perfectif !
  • réfectoire, sacrifice, satisfaire, suffire, déficience, surfait !
  • édifier, édifice, infect, justifier, forfait, vivifier … ... ...

Bon, on ne va pas tous les citer.

Maintenant, un autre mot latin se base lui-même sur faciō : faciēs : "ce qui apparaît": l’aspect, l’air, la forme, la figure, la face !

Oui, car faciēs devait désigner originellement la forme imposée à quelque chose
La forme mise à façon.

Et forcément, de faciēs nous avons tiré… faciès, face, facial, facette, mais aussi … façade, surface, ou même effacer. Se composant de ef- (variante de ex-) + face : littéralement faire disparaître.


Vous connaissez le latin opus : le travail, l’oeuvre.

En latin, celui qui exécute un travail, le travailleur, littéralement, c’est l’opifex : opus "travail" + fex "qui fait", de même racine que faciō.

Eh bien, on soupçonne le latin officium (tâche, devoir, service…) d’être la contraction de opificium (“le fait de travailler”), basé sur opifex.

Ce qui nous ouvre de nouvelles portes, de nouvelles perspectives...

Office, officieux, officiel, officine… sont donc encore des dérivés de *dhē-.


The Office, un sommet de l'humour glauque britannique



Nous en étions restés à *dhə-k- 

Une forme suffixée en *-li- de *dhə-k-: *dhə-k-li-, est, elle, à l’origine d’un autre mot latin, via une forme archaïque *facul : 

facilis. Faisable, facile.

Et oui, bien sûr, nous retrouvons facilis dans nos français facile, faciliter, difficulté, ou faculté.



J’ai encore plein de choses à dire sur cette adorable racine qui pourtant ne demande rien à personne…
Je vais garder la suite pour la semaine prochaine, mais je ne résiste pas à vous en présenter un autre dérivé, en anglais cette fois…

Et là, elle m’épate, notre *dhē- 

Car une forme au timbre o de *dhē- : *dhō-, s’est dérivée dans le proto-germanique *dōn.

Et OUI, c’est de ce *dōn germanique que nous arrive l’anglais ... to do : faire.

L’eussiez-vous cru, que faire et to do étaient si proches ??
Qu'ils provenaient d'une seule et même racine ?????

Moi : JAMAIS.

Alors, oui, nous retrouvons évidemment la racine dans l’allemand Tun, ou le néerlandais doen. 


Vous rappelez-vous de ce grand moment d’étymologie indo-européenne, où nous découvrîmes que le français temps et l’anglais time n’avaient RIEN A VOIR l’un avec l’autre ?? (mais alors RIEN)

Malgré tout ce qu'ils partageaient.
Malgré la forme, malgré le sens…

temps : Avez-vous le tempérament pour jouer du Bach?

time : le démagogue est en quelque sorte le démon de la démocratie

Eh bien ici, nous avons un cas diamétralement opposé !
Car qui, a priori, irait penser que “faire” et “do”, de même sens certes, mais de formes totalement différentes, ont quoi que ce soit en commun ?!



Là-dessus, je vous laisse méditer sur les apparences, les faux-amis, et parfois les amis qui le cachent bien…


La semaine prochaine, nous continuerons de creuser autour de *dhē-, avec encore quelques dérivés surprenants en français, mais aussi en anglais, et pour les grands malades qui sommeillent en certains d'entre nous, en vieux slavon d’église, en vieux norois ou carrément en tocharien A, ou B.






Bon dimanche à toutes et tous,
Passez une excellente semaine, et…


A la semaine prochaine !





Frédéric


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