- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 13 janvier 2013

Un gars, une fille




… "you'll be a Man, my son!"
… "Tu seras un homme, mon fils"

Derniers mots du merveilleux If ("Si") de Rudyard Kipling

Rudyard Kipling
(Bombay, Inde britannique, le 30 décembre 1865

Londres, le 18 janvier 1936,
et qui aurait peut-être pu s'abstenir d'envoyer son fils se
faire trucider à la guerre.)
Kipling n'aura jamais vu son fils devenir un homme...


Bonjour à toutes et tous!

Nous avions laissé, dimanche dernier, notre grand cycle des mots basiques sur les mots père et mère.
(Patrick, père et patron, un vrai patriote)


Continuons, en faisant d'une certaine façon machine arrière.

Nous avions parlé de l'homme (Terre des hommes? Pléonasme!) et de la femme (Quel foin pour une femme en faon…).

Mais avant d'être un homme, on est un garçon! Et avant d'être une femme, on est une fille...
Enfin, dans la plupart des cas...


Garçon est un mot intéressant.
Et - étymologiquement parlant - pas très valorisant, je dois dire!

Car le mot garçon est un lointain dérivé de la racine proto-indo-européenne...

*wreg-

qui portait le sens de pousser, envoyer, conduire, traquer

Jusque là, me direz-vous, rien de spécialement péjoratif ou dérangeant, si ce n'est que le lien n'est pas vraiment clair avec l'idée de garçon: l'enfant de sexe masculin.

Je vais donc essayer de vous éclairer…
Sachez déjà que notre racine *wreg- a donné l'anglais to wreak, verbe qui s'emploie dans des expressions signifiant semer la destruction, faire des ravages, exercer sa vengeance, ou encore "assouvir".

Un autre dérivé de *wreg-?
Le mot anglais wreck, signifiant le naufrage, ou sa résultante: l'épave, ou encore, sous sa forme verbale to wreck: démolir, dévaster, briser, anéantir

Le ss (steam ship: bateau à vapeur) Politician, qui,
une fois échoué au large d'Eriskay et réduit à l'état d'épave,
allait voir sa cargaison de whisky pillée par les autochtones.
Un roman, ainsi qu'un film éponyme des studios Ealing en
ont été inspirés: Whisky Galore.

Notez que l'on retrouve encore la racine, avec ce sens, dans le français... varech!
Du normand warec, werec signifiant littéralement épave, le mot nous provient, par l'anglo-normand wrec du vieux norrois *wrek ou *vagrek de même sens, et désigne à l'origine non pas seulement l'algue, mais tout ce qui est rejeté par la mer sur la côte: poissons, baleines: épaves de toutes sortes...!

Varech


Sympa hein!
Nous pourrions peut-être même mettre en relation garçon avec le fameux (ou infâme, c'est selon!) "viril" (Fergus le loup-garou est un virtuose de la violence)…

- Mais, je ne vois toujours pas le lien!
- Oui, et c'est bien normal!

Ce que vous devez encore savoir, c'est que le sens premier de garçon, c'est, par le francique *wrakjō - lui-même issu du germanique *wrakjōn: le vagabond.
Ou plutôt celui qui est poursuivi, exilé, le banni, quoi. (Banni? Mais oui, relisez parole: préhistoire avec plutôt qu'histoire sans!)

Ou, si vous préférez, celui que l'on traque et pousse dehors, qu'on envoie en exil, ce qui nous permet d'établir le rapprochement avec les notions véhiculées initialement par la racine *wreg-.

En ancien français, alors que le terme valet pouvait, dans une de ses acceptions, signifier "le jeune homme issu de maison noble, non encore armé chevalier, qui accomplit divers services", le mot garçon, lui, s'appliquait à l'enfant de couche sociale inférieure.

Ancien français

Il s'agissait souvent d'un terme d'injure (forcément, dirais-je, puisque le mot ne pouvait en toute logique qu'être prononcé par un membre d'une classe sociale plus élevée, qui n'avait cure de ces misérables - nihil novi sub sole).

Pour se donner une idée de ce que "gars" pouvait véhiculer comme connotations péjoratives, il nous suffit de penser au féminin de gars: garce, et à ce qu'il signifie encore et toujours...

Leurs filles, c'étaient des trainées; quant à ces fils de pauvres, de basse extraction, cette racaille, ils ne pouvaient que finir bannis, en exil, c'est évident.

Ah oui, car je ne vous l'ai pas dit, mais gars et garçon, c'est en fait le même mot!
Garçon n'étant que le cas régime de gars: le cas, dans les déclinaisons de l'ancien français, appliqué à un nom quand il n'est pas sujet d'un verbe.
Par opposition au cas sujet, équivalent du nominatif.
Gars est donc le cas sujet, et garçon le cas régime

Le gars, le garçon, pouvait également signifier le servant, le serviteur: emploi typique d'un enfant de couche sociale inférieure.

Voilà pour le garçon!
Maintenant, passons à la fille

Fille

Fille, je ne vous l'apprendrai pas, est le féminin de... fils.

Sur les inscriptions antiques, on trouve FEILIVS.

En latin classique, ce mot désigne le fils sans précision de l’âge.
Mais à l’origine il a dû signifier "nourrisson".
C’est ce qui apparaît par l’ombrien, où sus felius est un cochon de lait.
(on serait parfois surpris de voir ce qui peut apparaître par l'ombrien)

Et oui!

Vous rappelez-vous de la racine proto-indo-européenne *dhē- liée à la notion d'allaitement, de tétée, de sein? 
Mais oui, nous la traitons, si je puis dire, dans Quel foin pour une femme en faon….

Eh bien, on suppose que felius est un adjectif dérivé de *fela "le sein".

Tout se tient, donc, et nous ramène ainsi à la femme.

Aaaah (<soupir>)

C'est-y pas beau tout ça? Elle est pas belle la vie?




Allez, bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous, et…
A dimanche prochain!




Frédéric

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