- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 28 octobre 2012

histoire vraie




"Les passions détruisent plus de préjugés que la philosophie."  
Denis Diderot


Tout a commencé par un échange entre deux de mes collègues...

Nous étions un petit groupe, et revenions tranquillement du lunch, si je ne me trompe...

... Et je les entends encore; je n'avais pas suivi le début de la conversation, mais voici plus ou moins ce que j'en ai retenu:

- "... Oui, mais "patient" ça vient du latin patiens, et reprend l'idée d'endurance.

HMS Endurance, le bâtiment de l'expédition polaire
d'Ernest Shackleton, pris par les glaces


- Mais non, pas du tout, ça provient du grec pathos, la maladie, c'est pour ça qu'on parle d'un "patient" en parlant du client d'un médecin..."

Patient chez son médecin, illustration tirée du codex
Tacuinum sanitatis


Oui, je dois vous dire que je suis heureux d'avoir des collègues comme ça, qui ne se limitent pas à discuter des derniers résultats du championnat de balle au pied ou des spécifications du dernier modèle de GSM.


Mais donc, voilà. Moi qui suis toujours en recherche d'idées pour alimenter ce blog, j'en tenais une!

Alors, de mes deux collègues, qui avait raison? Mmmh?

Eh bien, "patient" est bien emprunté au latin patiens "qui supporte, endurant", patiens étant le participe présent adjectivé de patior "souffrir, supporter, endurer".

Et patior provient, qui l'eût cru, d'une racine proto-indo-européenne:

*pē(i)-

dont le sens était "blesser, heurter, faire mal".

Suffixée, et sous forme de participe, la racine devenue *pī-ont, s'est dérivée dans le germanique *fijand- hostile, dont est tiré l'anglais fiend: l'ennemi.

Et c'est une autre variante suffixée de *pē(i)-, *pə-to, basée sur sa forme au degré zéro, qui va donner le latin patior, "souffrir, éprouver, endurer" faisant donc référence à un ensemble d’états dans lesquels un individu est "passif", par opposition aux états dont il est lui-même la cause.

De patior nous avons tiré patient, certes, mais aussi passion, compassion, ou encore, en toute logique passif, ou même passible.

Pour être précis, passion provient du latin passio ("action de supporter, souffrance, maladie, indisposition, passion, affection, perturbation morale, accident, passivité"), issu de patior.

Le Christ de St Jean de la Croix,
Dali, 1951. J'adore!!


Ca aussi, j'adore:
La Passion selon St Mathieu de J. S. Bach
(Matthäus Passion), ici par Philippe 
Herreweghe & le Collegium Vocale de Gent (Gand)



Mais donc, pas de lien étymologique direct entre patient et pathos


Quant à πάθος - páthos (souffrance, passion, émotion, sentiment: "ce qu'on éprouve et qui affecte le corps ou l'âme, en bien ou en mal mais surtout en mal"…), il nous vient d'une toute autre racine proto-indo-européenne, qui ne véhiculait pas l'idée de "faire mal", mais plutôt "d'avoir mal",  de "souffrir":

*kʷent(h)-

Par le grec pathos, puis par le latin -pathia, nous lui devons, dérivés de sa forme au degré zéro *kʷn̥t(h)-pathie, évidemment, et puis pathologie, pathétique, ainsi qu'un grand norme de dérivés en -pathie, de homéopathie à télépathie!
En passant par apathie, empathie, ou même … sympathie.


Sympathie?
Du latin sympathia, repris du grec ancien συμπάθεια, sympátheia: notamment "communauté de sentiments ou d’impressions".







Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous!



Frédéric

2 commentaires:

roger a dit…

A première vue je pense qu'entre avoir mal et faire mal , il n'y a qu'une légère différence. Actif et passif! Et que, par conséquent, il y aurait bien un lien étymologique?

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour Roger,
Oui, nous sommes d'accord sur le fait qu'il ne s'agit que d'une question de vision!
Je dirais plutôt qu'il y a un lien non pas étymologique, mais sémantique.
L'étymologie des deux mots latin et grec est fondamentalement différente, puisqu'ils proviennent de deux racines bien distinctes.
Maintenant, ce qui est vrai, c'est que les deux mots partagent un sens identique, et on peut imaginer que le pathos grec ait pu influencer le patior latin, comme cela arrive parfois entre deux langues...

Frédéric