- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 19 juillet 2015

Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons (Les Fleurs du mal, Baudelaire)





Sul bôrd d'el Samp', et pierdu dins l' fumièye,
Wèyèz Couyèt avou s' clotchî crawieux ?

C' est là ki d'meûre èm matante Dorotéye,
Veuve d' èm mononke Adrien du Crosteu.

A s'nouv'maujonne, nos avons fé ribotte
Lundi passè, tout in pindant l' crama.

Po l'premî côp, c'est la k' dj'é vu Lolotte.
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.

Po l premî côp, c' est la k'dj'é vu Lolotte.
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.

(…)

Lolotte, 

Jacques Bertrand, 
chansonnier belge de langue wallonne, 
né à Charleroi le 18 novembre 1817 et y décédé le 30 juillet 1884. 


Au bord de la Sambre et perdu dans la fumée
Voyez-vous Couillet et son clocher tordu ?

C'est là qu'habite ma tante Dorothée
Veuve de mon oncle, Adrien le fils de celui à la béquille.

A sa nouvelle maison, nous avons fait la fête
Lundi passé, en pendant la crémaillère.

Pour la première fois, c'est là que j'ai vu Lolotte
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.

Pour la première fois, c'est là que j'ai vu Lolotte
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.

(...)

(source)


















Bonjour à toutes et tous!


Le dimanche indo-européen est en vacances!!
Entendez par là que votre serviteur profite de quelques semaines de calme dans sa splendide maison de campagne, tout près de Givet.

Ne vous inquiétez pas, chaque dimanche donnera lieu à un nouvel article, mais voilà, je me restreindrai probablement quelque peu quant à la longueur desdits articles…


Oui, pour moi les vacances à la campagne ont toujours un délicieux
goût d'Alexandre le bienheureux (Yves Robert, 1968)


Nous poursuivons, en ce beau dimanche, notre tour de la racine proto-indo-européenne *wer-3, “tourner, plier…”, en abordant une par une les différentes racines qui en découlent.

A l’ordre du jour, une de ses racines dérivées. (jusque là, rien d’original)

Je me baserai essentiellement, pour la circonstance, sur Watkins ("The American Heritage Dictionary of Indo-European Roots", Calvert Watkins, 3rd edition), qui reste malgré tout ma source de prédilection, très souvent mon point de départ pour ces articles.

(Pour les développements en français, je suis allé chercher du côté d'Alain Rey)


Bon, autant vous prévenir tout de suite, cette racine du jour n’est pas tout à fait indo-européenne.
Ou plutôt, elle l’est bien ; c’est proto-indo-européenne qu’elle n’est pas.

Oui, cette racine, on ne la retrouve qu’en germanique.
Donc on peut supposer qu’elle ne faisait pas partie de l’indo-européen commun - du proto-indo-européen, donc -, mais qu’elle fut créée sur le tard, après que le germanique se soit séparé du tronc commun.

Cette racine que nous qualifierons habilement de proto-germanique, c’est…

*wirb-

(Alors, vous remarquez que je ne la mets qu’en italique, pas en gras et italique, traitement uniquement offert aux racines proto-indo-européennes)

Quant à son sens (forcément toujours lié à la notion de “tourner”): frotter. Oui, frotter en tournant.


De la racine *wirb- découlera le vieux haut-allemand rīban (“frotter”), d’où l’allemand reiben (toujours “frotter”).
Ou encore le néerlandais wrijven, de même sens.

Mais surtout, surtout…
Sur *wirb- s’est construit le francique *rīben.

Dont le sens littéral était bien toujours “frotter”, mais qui, au sens figuré, signifiait copuler, être en chaleur… 

Mais oui: se frotter. Ou frotter dans le sens de caresser.

Ne parlons-nous pas encore d’astiquer dans le même sens? (Moi non, bien sûr, mais vous, je ne sais pas)

De ce francique, nous retrouvons la descendance en ancien français, avec le verbe riber (1165): être en chaleur, folâtrer, cajoler… (pour rester poli).

De ce vieux français riber
- en neuchâtelois on l’utilise encore de nos jours, au sens de “frotter, râper, user par le frottement” ; en vaudois on lui connait une variante ribler - 
nous arrive le vieux français ribaud, ribauld, qui donnera - faut-il vraiment le préciser - le français moderne (même si clairement désuet)… ribaud.

Le ribaud, c’était celui qui se livrait aux plaisirs charnels.

Par extension, un débauché, donc un vil personnage, donc, d’une façon générale, un méchant.
Y sont attachées les notions de scélérat, de vagabond
(Ah ça, on vit dans une société judéo-chrétienne, 'faut quand même bien en être conscient: sexe=faire des enfants. Sinon, pas bien. C'est quand même simple, non?)

Pensez donc à “coquin”, qui couvre assez bien les mêmes champs sémantiques.

Le vieux français riber, d’ailleurs, se comprenait également comme “se livrer à la débauche”.

Le Roi des ribauds, c’était encore, du temps de Saint Louis (ça ne nous rajeunit pas), l’officier royal qui était chargé de la police des mauvais lieux, des endroits malfamés.

La ribaude (circa 1175), c'était - nettement - plus précisément la femme de mauvaise vie, donc la prostituée.

C’est toujours plus facile de qualifier négativement une femme, il faut bien le dire.

Et ce n'est pas nouveau.

En vieux haut-allemand, puisque vous le demandez, à côté de rīban, notre racine *wirb- a également donné hrībaprostituée.

ribaude (source)


Mais la ribaude, c’était encore un canon.

Le rapport? Je crois, hélas, qu’il ne faut pas chercher bien loin…

La soldatesque, forcément composée de vrais soldats, mâlesvirils et surtout fins, et bien éduqués, ces soldats, donc, qui utilisaient ces redoutables canons devaient plus que probablement les comparer à (vous choisissez) de grosses ouvertures béantes / des gueules hurlantes / … 

Le terme sera rapidement repris en ancien néerlandais, et joliment “diminué” (je veux dire par là qu’en ancien néerlandais on en a fait un diminutif: le coquet ribaudekijn (1346), la petite ribaude. C'est tout mimi.

(re-)Passé alors à son tour au français, le ribaudequin désignera une de ces si charmantes inventions de guerre, une sorte d’orgue de Staline de l’époque, composé d'une série de canons à petit calibre.

ribaudequin


Les Anglais utiliseront l’engin lors de la guerre de Cent Ans ; puis pendant la guerre des Deux-Roses. 
Parfois je me demande si dans l'esprit de certains Français, la Guerre de Cent Ans est vraiment terminée...
Le matin de la bataille d'Azincourt, 25 octobre 1415
(source)


On sait aussi (je sais, ça faire rire mais c’est comme ça) que l’armée suisse les utilisa, notamment à la bataille de Sempach en 1386.

couteau suisse de la bataille de Sempach



On parlera, au XIIème siècle, de ribaudaille, mot collectif et surtout méprisant pour une troupe de vauriens.
(Pensons à la canaille, ou encore mieux, à la verminecognat basé sur la même super-racine *wer-3.)
(mais bon dieu, relisez Serpents, vers et dragons. Ah, et aussi ophiolites., enfin! ‘faudra vous le demander combien de fois??)

Ah, oui! En anglais, le vieux français ribaud est devenu ribald, de même sens.
Oui, ENCORE un mot français passé à l’anglais
Vous savez quoi? Dorénavant, je ne préciserai plus quand le mot français étudié s’est retrouvé en anglais, mais plutôt quand ça n’est pas arrivé, ce sera plus court, plus simple et plus facile. 
Oui, je persiste! Vu de Belgique où beaucoup d’entre nous parlons au moins deux langues, quand ce n’est pas trois ou quatre, je trouve ce combat contre la langue anglaise particulièrement grotesque.  
Apprenez l’anglais, le vrai, le beau, et enrichissez-vous, plutôt que de le condamner en le confondant avec cette sous-langue, ce baragouin - je mets dans le même panier globish et gangsta rap language 
Et après - seulement après -, quand vous saurez enfin de quoi vous parlez, on en rediscutera.

Allez, je me calme.

Zen, Frédéric, zen.

Life, où Damian Lewis interprète un policier
très zen.


Revenons à notre français ribaud.

Au XIIème, on parlait de ribaudie pour désigner un comportement de débauche.
Un siècle plus tard, le mot s’élargira et deviendra ribauderie.

L’un comme l’autre sont désormais sortis d’usage.
Mais, soit dit en passant, il ne tient qu’à nous de les y remettre…


Riblon, probablement mot régional dérivé de notre ribler “frotter”, usité assez longtemps (suffisamment pour qu’il apparaisse chez Buffon, 1707 - 1788), donnera “ribleur”, employé par Rabelais himself (1484) dans le sens de “débauché”.

Georges-Louis Leclerc de Buffon


Curieusement, dans la deuxième moitié du XVIIIème et au cours du XIXème siècle, ce “riblon” continuera à vivre et surtout à évoluer en langage technique, pour désigner finalement des déchets, non plus de la société, mais de ferraille, des copeaux métalliques provenant notamment du laminage du fer et de l'acier. 

Sous cette acception, riblon est toujours bien utilisé de nos jours!
Riblonner, c'est encore mettre à la ferraille.



Enfin, vers le milieu du XVIIIème est apparu le mot ribotte, rapidement devenu ribote.

Faire la noce, mener joyeuse vie”.

Du verbe riboter, calque du vieux verbe ribauder (“paillarder”), de ribaud, bien évidemment.

On parle toujours de “faire ribote” pour faire la fête, ou se livrer à quelque excès de table et/ou de boisson.

Comme dans Lolotte, de Jacques Bertrand, vrai petit bijou d'humour wallon, un beau portrait de la vie à Charleroi au XIXème siècle, écrit en wallon de Charleroi.



Ah oui, j’oubliais! (mais où ai-je la tête??)

On retrouve des cognats de ribaud dans pas mal de langues romanes et germaniques, mais il est plus que probable que tous dérivent, d'une façon ou d'une autre,  du français!

  • Latin médiéval ribaldus menial (“coquin, vaurien”),  
  • Vieil occitan ribaut (XIIIème), 
  • Catalan ribald (XIIIème), 
  • Espagnol et portugais ribaldo (XIIIème), 
  • Italien ribaldo (1313), 
  • Moyen néerlanfais ribaut, rebaut, etc., 
  • Moyen haut-allemand ribalt, ribolt, ribaut, 
  • Vieux islandais ribbaldi
  • Vieux suédois ribbalde (suédois ribald),
  • Vieux danois ribalde.


Et voilà pour ribaud, ribaude!

Je vous souhaite, chères lectrices, chers lecteurs,  un très bon dimanche, ainsi qu’une superbe semaine!

A dimanche prochain?


Ah c’était beaucoup plus accueillant autrefois, on faisait brûler des arbres entiers. Il y avait de beaux tapis sur les sols et les murs, il n’y avait pas une soirée sans jongleurs, ménestrels et ribaudes... Hahaha, j’ai souvenance d’une nuit ou un cracheur de feu avait enflammé la coiffe de dame Flegmonde. On a dû la jeter toute habillée dans les douves qui étaient alors gelées...

Godefroy Amaury de Malefète, 
comte de Montmirail, d'Apremont et de Papincourt,
dit « le Hardi », 
capitaine de Louis VI le Gros

in Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré, 1993.















Frédéric


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