- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 16 novembre 2014

de mieux en mieux...






(...) J’embrasserai ta vieille trombine avec moult satisfaction. (...)

Flaubert, correspondance, 
à Ernest Feydeau, 
Croisset, début d’octobre 1860



Bonjour à toutes et tous!

[ Oui, un petit relooking du blog, comme ça, parce que, parce que j'avais envie d'changer, parce que cet arrière-plan commençait à ne plus m'inspirer]



Après coup, je m’en suis voulu…

Mais oui: la semaine dernière, je vous lâchais tout de go: "‘y a 6 racines qu’on a pu reconstruire sous la forme *mel-", et je ne me suis - assez lâchement, il faut bien le dire - intéressé qu’à *mel-1.

Alors bon, je vous propose en ce dimanche de piocher une autre racine de la série *mel-x


*mel-4.


*mel-1, vous vous en souvenez, évoquait la notion de douceur. (Aaaah…)
*mel-4, elle, correspondait plutôt sémantiquement à la force, la grandeur
A noter que pour Mallory et Adams, elle correspondait aussi à ce qui est bon.


Pour tout vous dire, je le confesse, *mel-4 n’apparaît pas dans TOUS les groupes linguistiques indo-européens. 

Elle forme pour ainsi dire une isoglosse (pour les nouveaux arrivés: du grec pour « langue identique », une isoglosse, c’est une ligne - imaginaire, hein - qui sépare des zones géographiques qui se distinguent par un trait linguistique particulier). 

Vous connaissez peut-être l’isoglosse langues d'oc / langues d'oïl





ou l’isoglosse langues Satem / langues Centum... 

(je ne peux que vous renvoyer à ceud mìle fàilte chez les Tochariens (A)).




Ou même encore celle de pain au chocolat / chocolatine?




Et donc, *mel-4 forme une isoglosse comprenant les langues italiques, baltiques et anatoliennes.



Et puis, autre confession, de *mel-4 nous n’avons plus de trace que par des dérivés basés sur quelques-unes de ses formes suffixées
A ma connaissance, et en français du moins, nous n’avons plus de mots actuels qui auraient pu être créés sur sa forme de base.

MAIS on suppose que *mel-4 a donné un adjectif latin, aujourd’hui perdu (d’où l’astérique): *melus.

De ce *melus hypothétique, nous n’avons gardé que la forme comparative: melior.

J'ai connu, ça! Les timbres Melior...


Et ici, nous retombons sur nos pattes: c’est une forme suffixée, comparative, de *mel-4, *mel-yos-, qui se retrouve dans le latin melior

*melus a dû signifier en un premier temps “fort”, “grand”. 
Et melior, en toute logique, a dû tout d’abord signifier plus fort, plus grand.

*melus disparu, remplacé, éliminé, évincé par … bonus (bon). 
Alors, pour faire bonne figure, melior devint le comparatif de ... bonus, pour signifier... meilleur.

Sur ce melior latin, vous le savez, le français a créé meilleur, améliorer, amélioration, mélioratif ("qui donne un sens plus favorable"), ou mieux.


C’est encore sous son acception de “fort, grand” que la forme de base *mel-4 est passée au grec ancien, pour donner μάλα, mála: “tout à fait, très, fort”, ou encore “beaucoup” (Oui: “grand”… mais par le nombre!)



Je vous disais qu’on retrouvait *mel-4 dans les langues italiques, mais aussi baltiques
Eh bien, par exemple, en lituanien, malonùs conserve toujours le sens de “bon”: plaisant, agréable

Et en hittite, la principale des langues anatoliennes, mala(i) signifiait approuver, être favorable



Mais continuons!
Une autre forme suffixée de *mel-4, cette fois construite sur la forme radicale au timbre zéro (oui, pour les nouveaux: sans voyelle pivot): *ml̥-to-, s’est dérivée dans le latin… multus: nombreux, divers…
Ben oui, nous en avons tiré tous ces mots en multi-, ou encore multitude, multiple, multiplier






En italien, nous avons toujours évidemment molto, ou en espagnol mucho.
Sur la même souche, nous avons encore en français, bien qu’il soit à présent vieilli, désuet…: moult


- Et en anglais, la racine a donné much!
- Oh mais bonjour! Et NON, pas du tout.

L'anglais much provient lui d'une tout autre racine: *meg(h)- ("grand").
C'est elle qui a donné le latin magnus.
Je ne veux pas me montrer effronté, mais vous l'auriez su, eussiez-vous lu Ceci n'est pas une pomme...


Ici, ça devient amusant...
Il est possible qu’une forme comparative suffixée de notre proto-indo-européenne *mel-4: *ml̥-yes-, ainsi qu’un adjectif dérivé de cette dernière: *ml̥-yes-ri-, soient à l’origine, respectivement, des latins… mulier et muliebris.

Jean-Baptiste Pouquelin, dit Moulière

Mulier? Mais la femme voyons!
Et même, plutôt la femme mûre, par opposition à cette oie blanche, à cette péronnelle de … virgo.

mulier

Quant à l’adjectif muliebris, il signifiait tout simplement féminin, relatif à la femme, ou efféminé.

- Holà, mais qu’est-ce que tu nous racontes, pauvre tache??? 
Mulier, mais ça vient de mollior, le comparatif de mollis (doux, tendre, faible)!! 
C’est donc “plus doux, plus tendre”.
La femme c’était l’image de la tendresse, évidemment. Ou encore le sexe faible!

- Toujours là, vous? Oui, cette version est possible, et plausible, bien sûr. 
Elle fait d’ailleurs référence à *mel-1, sujet de notre dimanche précédent.

OUI, cette version de l’étymologie du latin mulier est parfaitement possible. 

Mais moi, j’en ai une autre...

Qui a l'avantage d'expliquer pourquoi mulier s’appliquait plutôt à une femme mûre.

Ta taaa….!

Mulier désignait, selon cette version, la femme “senior”, la première épouse, ou plutôt - et pour être tout à fait clair - l’épouse principale… 

Oui, le mulier latin porterait les traces d’un très lointain passé, où la société italique préhistorique était basée sur la polygynie, un homme pouvant vivre avec plusieurs femmes…

Bon, allez savoir, moi j’étais pas né.






Mais ce qui est sûr, c'est que de mulier descend l'italien moglie, ou l'espagnol mujer...

Tout en vous disant qu'en ancien français, nous eûmes aussi notre moillier « femme », « femme mariée », basé sur l'accusatif de mulier: mŭlĭĕrem.




Sur ce, je vous souhaite, à toutes et tous, un très bon dimanche, et une excellente semaine…!



A dimanche prochain?




Frédéric


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