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dimanche 20 avril 2014

"Eight o' clock? Mais c'est l'heure de la chasse aux oeufs!" dit Papageno en gloussant et cacardant comme une oie...





La situation est grave.

Dans le sillage de “œuf”, et en cette période de Pâques, je voulais vous parler du véhicule aérien des œufs: les cloches





Eh ben, purée, ça n’a pas été facile…


En un premier temps, je n’ai vraiment rien trouvé de très convaincant sur l’étymologique proto-indo-européenne de cloche.
Ca arrive, c’est comme ça.

A part le Wiktionary qui évoque une racine *klak-, mais sans donner la moindre source ni référence (!) - racine qui par ailleurs figure bien dans Watkins, mais à qui ce dernier n’attribue d’aucune façon la parenté de “cloche”… - je n’avais vraiment pas grand-chose à nous mettre sous la dent!


Allez, ce qu’on peut toujours en dire, sans trop raconter de c*ries:

Notre cloche français provient du bas latin clocca, attesté au VIIème siècle.

Mais ce clocca n’est que la transposition latine d’un mot que l’on retrouve dans les langues celtiques:

  • clogh en cornique, 
  • clog en gaélique irlandais, 
  • cloch en gallois,
  • kloc’h en breton, ou même 
  • clocca en gaulois… 


Ce mot se serait progressivement imposé par l’emploi qu’en faisaient les missionnaires irlandais, pour finalement supplanter le latin chrétien signumsignal ») ou campanacloche »).
Sonner la cloche pour appeler les fidèles au culte n’est donc pas une invention particulièrement récente…

Cloche de la chapelle Saint-Antoine
(Chastel sur Murat, Cantal, France)


D’après le Wiktionary, donc, le bas latin clocca proviendrait d’une racine proto-indo-européenne *klak-.

Pour Watkins et d’autres, *klak- est une variante, au même titre que *klag-, de *kleg-, une forme allongée de la racine proto-indo-européenne *kel-1.

Johnny Clegg


*kleg- faisait référence à un cri, à du son.
Quant à *kel-1, elle exprimait la notion de frapper.
On peut ainsi supposer que *kleg-, c’était le bruit produit par le coup frappé

Et donc, pourquoi pas, le clog gaélique pourrait parfaitement provenir de *kel-1 / *klak-.
Le seul hic, c’est que mon Maître à penser proto-indo-européen Watkins n’en parle pas!

Très gênant…

Bon, Pokorny mentionnait bien la filiation, mais le grand Pokorny s’est parfois trompé, et surtout, la linguistique comparative a fait d’énormes progrès depuis son époque - en se basant d’ailleurs essentiellement sur ses recherches!

Souvent, voire systématiquement, quand Watkins ne reprend pas une option de Pokorny, je le suis (Watkins, hein, pas Pokorny).
J’aurais donc tendance à abandonner la piste…


Je restais là, dubitatif, mais décidai quand même de poursuivre:

Car, outre Pokorny, au moins UNE source fiable accepte la filiation de *kel-1 / *klak- à cloche: le Linguistic Research Center de l’Université d’Austin, au Texas (si si, ne rigolez pas, ils ont aussi une université).

Yeeeehaaa!!!



Mieux que cela, les linguistes texans (je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait sourire - Yeeeeehaaaaa!) la revendiquent!

Il faut savoir que pour tous les cognats qu’ils mentionnent sur leur très bon site consacré au proto-indo-européen, ils précisent systématiquement la source de leurs informations.

Et ici, ils se citent eux-mêmes! Ils nous livrent ici le fruit de LEURS recherches!


Donc, ouuuuuuf, me revoilà sur des rails! On va leur faire confiance, hein!?


Il y a beaucoup (beaucoup) à dire sur *kel-1.
Mais en ce beau dimanche de Pâques, je me limiterai à ses formes allongées *klak- / *klag- / *kleg-.


Notre racine proto-indo-européenne *klak-,
- par le proto-celtique,
- les langues celtiques et un petit détour par le bas-latin,
en est arrivée à nous donner le français cloche.

Pour être exhaustif, cloche nous provient de l’ancien français du nord “cloque”.
C’est en se calquant sur lui que le moyen néerlandais klocke (cloche) s’est créé.
Et c’est aussi de lui que dérive le moyen anglais clok, clokke, qui a bien entendu donné l’anglais moderne clock, non plus la cloche, mais… l’horloge!

Houses Of Parliament Clock Tower,  appelée également
Big Ben

Oui, par assimilation entre le gong propre à l’horloge et la cloche

Notez - c’est The Oxford English Dictionary qui nous l’apprend - il existait un vieil anglais clucge signifiant bien “cloche”, dont le sens fut repris un temps dans le moyen-anglais clok, clokke


Oh, nous retrouvons *klak- dans d'autres langues germaniques:

  • En bas germanique: Klock (cloche, ou horloge), 
  • dans l’allemand Glocke, ou encore, par exemple, 
  • le suédois klocka.

Si vous aimez Mozart et l’opéra - et que donc, forcément, vous aimez Die Zauberflöte, K. 620, vous connaissez le glockenspiel magique, sur lequel joue Papageno pour, quand il s’en souvient! - échapper aux dangers…



Le glockenspiel est en fait un instrument de musique à percussion de la famille des idiophones (sans rire, mais ça correspond bien au personnage de Papageno, qui, disons ... n'est pas méchant), composé de lames de métal mises en vibration à l'aide d'un maillet ou d'un clavier.

En allemand, Glockenspiel, c’est littéralement le jeu de cloches, le carillon, car à l’origine, il était constitué de … clochettes.

Julia Roberts, la plus adorable des Fée Clochette qui soit

Si l’on admet la parenté de *klak- / *klag- / *kleg- avec cloche, alors il faut également en conclure que cloche est un cognat de l’anglais… laughter: le rire!

*klak- s’est dérivée dans le germanique *hlahjan: rire, qui a donné le vieil anglais hlieh(h)an, de même sens, pour devenir l’anglais moderne to laugh, rire!

Oui, rire, en anglais du moins, c’est crier, faire du bruit!

Laughter, le rire, arrive par le même chemin: via le proto-germanique *hlahtraz, qui deviendra le vieil anglais hleahtor, puis l’anglais moderne laughter.


Notre français rire ne vient pas de là…
En revanche, nous avons, issu de *klak- /... …

Glousser!
Du latin glutire, bas latin glōcīre via le latin populaire clociare (“glousser”)


Ou encore ... glapir!
Fruit d’une altération du latin glattīrejapper »).


Encore plus fort:
On peut décemment se poser la question du lien entre les cloches et les œufs, non?
Car on s’attendrait à des oiseaux pondant des œufs, pas des cloches, vous êtes d’accord?

Eh bien, voilà tout au moins une réponse (totalement foireuse) à apporter, par l’étymologie proto-indo-européenne:
Le rapport se fait entre l’oiseau et l'œuf par *klak-, qui nous a donné le latin gliccīre, d'où nous avons tiré... cacarder: crier, chanter, en parlant de l’oie, ou du geai.



Pour terminer, si nous citions encore quelques autres dérivés de notre *klak- / *klag- / *kleg-?

  • Le scots lauch (“rire”), 
  • le frison occidental laitsje (“rire”), 
  • le néerlandais lachen (“rire, sourire”), 
  • l’allemand lachen (“rire”),
  • le danois le (“rire”), 
  • l’islandais hlæja (“rire”), 
  • l’albanais qesh (“rire”), même si ça se pratique rarement en Albanie, 
  • l’ancient grec κλώσσω (klṓssô, “glousser”), ou encore… 
  • le vieux slavon d’église клєкотъ (klekotŭ, “rire, bruit”), d’où provient le russe клёкот ("kliokeut") qui désigne notamment le cri perçant de certains oiseaux de proie…


- Mais donc, cloche est un parent du rire en anglais, laughter, et de glousser, et de glapir??
- Eh oui, si du moins on en croit les linguistes de l'Université d'Austin!

Yeeeeeeeehaaaaaaa!






Joyeuses Pâques à toutes et tous!

Passez un excellent dimanche, et un fantastique lundi de Pâques, continuez par une très bonne semaine, et…

A dimanche prochain!




Frédéric

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