- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 2 mars 2014

lors d'un atelier basé sur le "faire" (une initiative citoyenne), j'ai trouvé sur Paris un bouquin traitant du rapport à l'autre dans les ceilidh





Etant Autre, 
à cause de Son omniprésence, 
Shiva n’est pas différent du monde. 
Il en est le Créateur, 
qui crée selon les actions des créatures. 
Il crée une Création parfaite, 
par le pouvoir de l’Ordre qui Lui est inhérent.

Extrait de l’Eveil à la Connaissance de Shiva, dont l’original est en sanskrit.





Bonjour à toutes et tous !


En ce dimanche, une racine proto-indo-européenne qui, d’une certaine façon, pourrait résumer une vie…

Et qui en tout cas va vous permettre de relier entre eux des mots que vous n’auriez JAMAIS supposé être apparentés…



Cette racine, la voici :

*kei-1


Et son champ sémantique ?
Mmmh… Disons que, tel qu’on peut le reconstituer, il couvrait des notions telles que “être couché”, “couches, berceau”, ou encore “cher, aimé”…

Oui… On voit bien ici la difficulté à non pas retrouver la racine proto-indo-européenne derrière toute une série de mots qui en descendent
- ce qu’on appelle des cognats -,
mais bien le sens qu’elle devait véhiculer à l'origine…

Eh oui, il devait - on peut le supposer - y avoir un sens relativement précis à cette racine, mais les mots évoluent, la société change, les conditions de vie se transforment, et les mots, lentement, glissent de sens…


Un mot français qui pourrait me semble-t-il correspondre à toutes ces notions présentes dans  *kei-1, ce serait “berceau”.


Le berceau, Berthe Morisot, 1872


Oui, car il met bien en rapport les notions de mettre à coucher, et d’être aimé !

Bon, berceau ne vient pas, hélas, de cette racine… Mais vous voyez ce que je veux dire.


Alors, allons-y !
La racine proto-indo-européenne *kei-1, sous une forme suffixée *kei-wo-, nous a donné l’anglais hind.

Le mot anglais hind peut désigner la biche, ou s’apparenter à l’anglais behind : derrière.

Mais hind peut encore vouloir dire “paysan”. De même, en Ecosse, ou dans le nord de l’Angleterre, il désigne encore un travailleur à la ferme
C'est précisément cette acception qui nous intéresse ici.

Travailleur à la ferme


Le lien avec les sens de *kei-??

Ah, vous rappelez-vous notre article sur “famille” : histoire de famille ?

Nous y avions vu qu’en fait, la famille, originellement, correspondait plus à la maisonnée : à l’ensemble des personnes vivant sous le même toit.
Autrement dit, aux personnes qui dormaient, qui se couchaient sous le même toit.
Ceci comprenait les membres de la famille (dans notre sens moderne), soit, mais aussi les domestiques, les serviteurs

L’anglais hind nous raconte ainsi une très très (très) vieille histoire, d’un temps lointain où la notion de famille n'existait pas dans le sens que nous lui donnons aujourd'hui.

Hind provient du vieil anglais hīwan, désignant “les membres d’une famille/maisonnée, domestiques” arrivé du proto-indo-européen par le germanique *hīwa-, de même sens.


Restons en anglais, avec le mot “hide”.

Oui bien sûr, vous le connaissez comme “cacher”.

Mais ici, il s’agit du mot désignant “une mesure de terre”, issu du vieil anglais hīd,hīġid, de même sens.

Encore une fois - me direz-vous - mais quel est le rapport ?

Eh bien, le vieil anglais hīd,hīġid est lui-même construit sur une forme précédente *hīwid qui désignait
- et c'est ici que tout prend son sens -
la portion de terre permettant à une famille de vivre”.

Cette forme *hīwid est dérivée du proto-germanique *hīwaz, *hīwō (“parent, vivant sous le même toit, famille”), construit, évidemment, sur notre racine *kei-1.

Au Moyen-Age, cette “mesure de terre” correspondait généralement à 40 hectares !
Notez que pour constituer une baronnie, il fallait quarante des ces “hides”…


Les Très riches heures du duc de Berry: Mars


Une autre forme suffixée de *kei-: *kei-wi-, est à l’origine de toute une autre… famille… de mots… que nous connaissons fort bien...

Dérivée dans le proto-italique *keiwis, elle nous a donné le latin … cīvis.

OUI, cīvis le citoyen !
Originellement, cīvis est un nom collectif : « ensemble des personnes qui dorment sous le même toit ».


Trop fort.

Cīvis a donné civitas : la cité (« état de citoyen, droit de cité, ensemble des citoyens d’une ville, cité, nation, État »), sur lequel nous avons construit citoyen.

Ou naturellement: cité.
Ou l’anglais city, ou l’espagnol ciudad

City of London

Citoyen, concitoyen, citoyenneté …
Cité, citadin, … 
Civisme, civique …
Société, sociable, social, sociétal …
Civil, civilité, civilisation …



Ah oui, *kei-1 c’est du lourd. 


Il y a des expressions si politiquement correctes, qui sous-entendent tellement de bons sentiments, ou tellement branchées qu’elles me râpent le fond de l'oreille…  
L’initiative citoyenne” en est une…  
Ne parlons pas du “rapport à l’autre”, ou du malheureusement incontournable, “je cherche [un dentiste, un studio, un coiffeur …] sur Paris”, horrible pustule sur la langue française, bubon suintant que l’on entend désormais par ici : “sur Bruxelles", "sur Mons!!
Cette semaine, dans le même ordre d’idée, je viens hélas de subir un atelier axé sur le “faire”…  
Des baffes oui.


Et quand on me dit “Oh, mais tu as vu ce chaton, il est trop mignon”, j’ai toujours envie de répondre (ma bonne éducation m’en empêche souvent) “Il est trop mignon ? Oh mais pas de problème, ça peut très bien s’arranger…


Bref.


C’est encore une forme de notre racine *kei-1, mais suffixée en *-liyo- cette fois pour devenir ainsi *kei-liyo-, qui se cache derrière -non pas Kylie Minogue, mais le vieil irlandais cèle, qui signifiait le compagnon.

*kylie-


Si comme moi vous aimez l’Ecosse, peut-être connaissez-vous les ceilidh (à prononcer kélii, avec l’accentuation tombant sur le ).
Vous l'aurez compris : le mot ceilidh est issu de cèle.

Là-bas, les ceilidh (ou cèilidh en gaélique écossais) sont de joyeux rassemblements où l’on danse et/ou chante.
Historiquement, le ceilidh était plutôt une réunion entre voisins, organisée à la maison, en soirée, où l’on discutait de tout et de rien, et où l’on échangeait les nouvelles.
Où l'on sociabilisait


Ceilidh



En début d’article, je vous disais que la racine du jour pouvait résumer une vie

Une vie qui commencerait par les couches.

Alors non, “couches” ne vient pas de *kei-1.

En revanche, une forme au timbre o de la racine (où donc la voyelle-pivot originale *e- est remplacée par un beau *o-) : *koi-, suffixée pour devenir *koi-nā-, est à l’origine du latin cūnae : le … berceau.

Ou le lit d’enfant, ou même le nid.
Par extension, il désignait aussi la prime enfance



Devinette !


A votre avis, quel serait le mot français qui nous viendrait de cūnae ?



Un indice ?
Ce mot exprime (mais de loin) l’idée de prime enfance, de commencement, d’origine




Un autre indice ?
Il désigne certains livres




Un troisième indice ?
De très vieux ouvrages




Oui, trouvé ?

Incunable !

Calqué sur le latin incunabula, qui désignait les couches, le berceau.


(in = dans) + cunae : "au berceau"


Dans l’emploi que nous lui connaissons, incunable est utilisé pour la première fois par le jésuite Philippe Labbé (1607-1667)
(et non pas par l'abbé Philippe Jésuite; mais que voilà une formidable contrepèterie),
pour désigner les livres réalisés “du temps où l’imprimerie en était encore à ses débuts, au berceau”, entendez les ouvrages imprimés jusqu’à la fin de l’année 1500 du calendrier julien.

- Euh ??
- C’est-à-dire ... avant le 1er mars 1501.

Mais vous savez déjà tout sur le calendrier julien.
Du moins si vous avez lu C'est alors que Jack Ryan proposa quelques After Eights au capitaine de l'Octobre Rouge.

PS pour les moins-bien-comprenant, le titre de l'article ci-dessus est un lien qui, si vous cliquez dessus, vous renverra à l'article en question. 
Oui je sais, c'est dingue.

Chroniques de Nuremberg,
incunable de 1493


C’est toujours sur le proto-indo-européen *kei-1 que sont construits le sanskrit क्षेति kṣeti (“résider dans un endroit secret, se taire”), le grec ancien κεῖμαι, keĩmai, “être couché” ou κοίτη, koítē : “lit”, l’arménien սեր (ser) : “amour”, ou encore le vieux slavon d’église сѣмь (sěmĭ) qui donnera le russe pour famille : семья (“simia”).


Enfin, une forme au degré zéro de *kei-1 (où donc la voyelle-pivot disparaît) : *ki-wo-, se retrouve dans le sanskrit शिव / Śiva : Shiva.
Le dieu bon, qui porte bonheur, le dieu d’amour… (même s'il est un peu destructeur sur les bords...)


Shiva


- Mais euh, pourquoi dis-tu que cette racine peut résumer une vie ?
- J’y arrive !!!


Car il y a encore un mot dont je dois vous parler, qui clora cet article, mais qui figurativement, clôt également la vie …

Ce mot est issu de la racine proto-indo-européenne *kei-1 par une forme *koi-m-ā-.
Passée au grec koimān, elle signifiait “mettre à dormir”…

Et c’est sur koimān, ou plus précisément son dérivé κοιμητήριον, koimêtêrionlieu pour dormir, dortoir ») que nous avons créé le français …

cimetière.

Via le latin coemeterium, devenu cimiterium au Bas-Empire.


Le cimetière juif de Prague


Alors, *kei-1 n’est-elle pas un beau résumé de vie ?

Elle nous accompagne du berceau au cimetière, en passant par la vie sociale, l'amour, les amis




… (silence)



Et puis, vous auriez imaginé, vous,  que cimetière, cité, incunable, ceilidh et Shiva étaient si proches les uns des autres ?

Respect, *kei-!




Sur ce, je vous souhaite à toutes et tous un très bon dimanche, et une très bonne semaine !

A dimanche prochain.





Frédéric


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